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LA VIE ET L'OEUVRE DE PABLO PICASSO

Podcast de l'émission du 17/06/2015

De nombreux auditeurs vont être ravis, Franck Ferrand a invité Serge Legat cet après-midi pour nous parler de Pablo Picasso, Bonjour Frank !

 

Bonjour Ombeline, Bonjour à tous vous connaissez Serge Legat désormais et vous croyez connaître Picasso, je dis bien croyez connaître car en vérité l'un et l'autre pourraient bien nous surprendre ! Pour nous mettre en jambes, je vous propose de vous raconter les débuts du grand artiste, histoire de rappeler à tout le monde qu'avant de faire exploser les formes Picasso les avait intégralement maîtrisées.

Au coeur de l'Histoire de Picasso - Franck Ferrand
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 Serge Legat

Conférencier. Diplômé en droit et en Histoire de l'art, mais également de la prestigieuse école du Louvre, Serge Legat est conférencier des musées nationaux et du ministère chargé du tourisme. 

 

Pour Aller plus loin 

 

Picasso et ses Amis

Le livre de Fernande Olivier

 

Le Mystère Picasso

Le célèbre film d'Henri Georges Clouzot

Le Regard Picasso

Le film de Nelly Kaplan

La Verita

A l'affiche aux Folies Bergeres

Franck Ferrand sur Europe 1, Au Coeur de l'histoire

 

De nombreux auditeurs vont être ravis, Franck Ferrand a invité Serge Legat cet après-midi pour nous parler de Pablo Picasso, Bonjour Frank !

 

Bonjour Ombeline, Bonjour à tous vous connaissez Serge Legat désormais et vous croyez connaître Picasso, je dis bien croyez connaître car en vérité l'un et l'autre pourraient bien nous surprendre ! Pour nous mettre en jambes, je vous propose de vous raconter les débuts du grand artiste, histoire de rappeler à tout le monde qu'avant de faire exploser les formes Picasso les avait intégralement maîtrisées.

 

Et tout à l’heure à la fin de l'émission vous répondrez à la question de Nicolas sur l’origine des ambassades

Et bien voilà une question passionnante ; pour le moment c'est le grand ambassadeur de l'art et de sa permanente révolution qui nous attend.

 

Europe 1, Au cœur de l'histoire Franck Ferrand

 

Comment devient-on Picasso ? Voilà la question que je me suis posée pour préparer cette émission… comment devient-on d'abord cet immense peintre bien sûr, mais qui était aussi -ne l'oublions jamais- sculpteur et céramiste, et quel céramiste, et décorateur, et même d'une certaine manière écrivain. Picasso est mort il y a 42 ans. C’était le 8 avril 1973, il avait 91 ans lorsqu'il s'est éteint dans sa propriété de Mougins dans le sud de la France. Il laissait derrière lui plus de 60 000 Å“uvres, et dites-vous que nous parlions à l’instant avec Wendy Bouchard de la réouverture du musée Picasso ; mais il existe en Europe 7 musées qui portent le nom Picasso ; dont celui bien sûr de l’hôtel Salé à Paris, mais aussi à Antibes à Vallauris -et pour cause-, à Barcelone, 2 musées à Malaga dont on aura peut être l'occasion de parler, et puis le musée de Munster -Munster devrais-je dire en allemand. Il n'est pas né Picasso ce Picasso, puisqu’en fait c'était le nom de sa mère ! Figurez-vous que son père s'appelait Jose Ruiz Blasco. C'était lui-même un dessinateur, un artiste et il enseignait le dessin à l'école provinciale des Beaux-Arts de la ville, quand je dis de la ville : on est à Malaga justement en Andalousie bien entendu ; et il était aussi conservateur du musée de Malaga ce Jose Luis Blasco. Ce qui veut dire que Pablo est né Pablo Luis Blasco et vous verrez tout à l'heure pourquoi il a prit le nom de Picasso -c'était sa mère qui s'appelait Donia Maria Picasso y Lopes. Il avait deux sÅ“urs : Dolores qu'on appelait Lola dans la famille, et Concepción qu'on appelle Conchita. Pablo très jeune, quand je dis très jeune c'est vraiment peut être pas tout à fait au berceau mais… il y a des légendes comme ça qui en font une sorte de… plus qu'un génie précoce c'est quelqu'un qui en quelque sorte n'aurait jamais fait de dessins d'enfants «  je n’ai jamais fait de dessins d'enfants, disait-il lui-même, à 12 ans je dessinais déjà comme Raphaël Â» vous voyez un petit peu la modestie du personnage… tout de suite on voit à qui on va avoir à faire.

Il n'a pas entièrement tort cependant et c'est vrai que lorsqu'on regarde les tableaux qu'il a peint quand il avait sept ou huit ans c'est assez stupéfiant : j’ai là sous les yeux le petit picador, qui s’inspire d’une scène du monde de la corrida, qui est sa première peinture à l’huile. Elle l’a toujours suivi d'ailleurs comme une sorte de talisman, il se promenait avec elle -si je puis dire-, et cette petite peinture, même si elle présente encore quelques aspects naïfs c'est vrai, est sidérante par son inspiration, par la présence des personnages, qui, littéralement, sortent de la petite toile. C'est assez extraordinaire. À 12 ans, Pablo va donc entrer à l'école des beaux-arts de la Corogne en Galicie. On est là donc à La Corogne, c'est le nord-ouest de l'Espagne. Son père y enseigne. Désormais il va apprendre le dessin et la peinture ; et c'est un choc familial qui peut être va servir chez lui de véritable déclencheur. Sa sÅ“ur la petite Conchita tombe malade. C’est l'époque où les épidémies de diphtérie, vous savez c’est terrible : il faut imaginer toute la famille en prière ; et là on peut dire que c'est la carrière même de Picasso, et donc l'existence d'un des grands génies de l'art qui est en cause puisque Picasso va faire un serment à Dieu. Vous savez quand on est petit comme ça, ça se comprend : sa petite sÅ“ur pour lui c'est tout, il ne veut pas qu'elle meure, alors il dit que si Dieu sauve sa sÅ“ur, lui renoncera alors… il cherche à quoi il pourrait bien renoncer… qu'est-ce qu’il a de plus cher, de plus important, de plus essentiel dans sa vie ? La peinture évidemment : eh bien si Dieu sauve sa sÅ“ur il renoncera à la peinture et -pardon de dire ça mais on a envie de dire heureusement Dieu n'a pas sauvé la petite sÅ“ur. (Je suis vraiment d'une cruauté ce midi c'est pas mal). Elle meurt en janvier 1895. Picasso est complètement inconsolable, mais alors, comme dans une sorte de revanche avec la force d'hercule, la force taurine qu'il incarne et qui le tiendra jusqu'à la fin de sa vie, il va se jeter littéralement dans le travail. Il entre dès l'année suivante à l'école des beaux-arts de  Barcelone à la Loltja où son père est encore professeur : vous voyez qu'il suit quand même son père, et vous voyez pourquoi il ne va pas pouvoir s'appeler Blasco : il ne peut pas être une sorte de Blasco bis, d'une certaine manière ; et alors il y a des épreuves pour entrer dans cette école bien entendu : on donne un certain nombre de sujets à traiter aux candidats et on leur donne un mois pour réaliser les Å“uvres. En combien de temps d'après vous Pablo va-t-il les réaliser ? Une journée ! le soir même, il a fourni les Å“uvres et il est tout de suite intégré. Et la légende raconte que ce soir-là le père de Picasso, à la fois très fier et un peu un peu bouleversé de voir le talent inouï de ce tout jeune garçon, aurait donné sa palette ses pinceaux ses couleurs à l'enfant en lui disant : « Ã©coute-moi vraiment jamais mon talent ne pourra égaler le tien, je renonce à jamais à peindre Â» Ce qu’il ne fera pas du reste puisque jusqu'à sa mort Jose Luis continuera de peindre. Picasso va, à l'école des beaux-arts, découvrir, d'abord les grands maîtres espagnols : nous avons parlé de Vélasquez l'autre jour bien entendu, mais aussi le Greco qui va jouer un rôle essentiel dans sa formation, et puis Goya… est-ce que finalement les surgissements un peu incalculables du génie de Picasso ne sont pas cherchés quelques part dans la lumière sombre de Goya ? et puis, parce qu'on ne s'intéresse pas seulement aux artistes espagnols dans cette école espagnole, il découvre les grands maîtres français : Poussin par exemple. Alors on se dit « tiens quel rapport ? Â» et bien oui il y a un collorisme chez Poussin qu'on retrouvera presque décalqué chez le jeune Picasso. Il s'intéresse aussi- ça c’est être plus intéressant pour nous- il s'intéresse à ce qui, à l'époque, est en train de devenir à la mode, on est en 1895, c'est l'époque où on est en train de découvrir tous les arts qu'on appelle - qu'on a appelé - primitif ; et Picasso va attacher une très grande importance prêter un très grand intérêt à la sculpture africaine, à l'art des Cyclades dans ce qu’il a de tellement essentiel. On trouve d'ailleurs peut-être un peu déjà de l'influence de tout ça dans la fillette aux pieds nus de juillet 95 une grande huile sur toile. Alors je l’ai là encore sous les yeux c'est cette toile de Picasso, du tout jeune Picasso, alors non seulement elle a les pieds nus la petite fille mais elle a de gros pieds ! Si je puis dire c’est assez étonnant parce que l'ensemble de la composition est relativement classique -quoi que- mais alors il lui a fait des pieds de monstre, qui annoncent déjà cette espèce d'anamorphose permanente et ce jeu sur les sur les gonflements de chair, si je puis dire, qui un jour caractérisera Picasso. Alors dès l'année suivante, il passe le concours d'entrée à l'Académie des beaux-arts San Fernando à Madrid, inutile de vous dire qu'il le réussit –je ne vais pas vous dire à chaque fois tout ce qu'il réussit puisque c'est presque fatiguant ; cela cet artiste-là a toujours tout passé haut la main bien entendu. Et on va le voir là passer beaucoup d'heures au Prado, à copier les maitres. C'est important de dire ça, parce qu’on a aujourd'hui l'image d'un Picasso le maître de la déstructuration, d'un Picasso qui peint certaines des toutes dernières Å“uvres un peu comme n'importe quel enfant pourrait le faire, croit-on, pense-t-on quand on ne connaît pas bien la chose. En fait, on est en présence d'un génie qui est passé par tous les stades d'une formation qu'on peut qualifier de classique, et qui, dans le cadre notamment de Madrid et de ce Prado et de cette académie, vont lui donner, vont lui conférer la maîtrise d'un maitre, d’un grand, d'une certaine manière. Picasso va exposer son tableau : la première communion à 15 ans, à l'exposition des Arts décoratifs de Barcelone. C’est un tableau incroyable, il n’est pas primé mais la presse le salue. Je dis que c’est incroyable parce que vous avez une petite fille qui est en train de faire sa communion au premier plan, donc elle est dans une aube toute blanche, un voile blanc etc. son missel lui-même rayonne une lumière très blanche, comme le surplis de l’autel, le surplis de l'enfant de chÅ“ur, et comme la nappe de l’autel qui porte un nom -j’ai oublié le terme technique, peu importe- en tout cas tous ces linges très blancs donnent le sentiment d'une sorte de luminosité interne à la toile. Chez un artiste de 15 ans, ça donne quand même un peu des frissons- on se dit mais où s'arrêtera-t-il ce gamin là ?

 

Sur Europe 1  un extrait de l'invitation au château de Francis Poulenc- on vous retrouve Franck Ferrand pour la suite de votre récit sur les débuts incroyables de Pablo Picasso

 

Alors vous avez bien compris qu'il y a ce paradoxe quasi natif dans l'art immense de Picasso, d’un homme qui se forme à l'école des maîtres et qui en même temps va constamment vouloir les dépasser, leur répondre, les détourner d’un certaine manière. Il y a la volonté d'indépendance chevillée au corps de ce jeune homme, il est vraiment un électron libre comme nous dirions aujourd'hui dans un jargon qui n’est pas était pas très très élégant. Et puis alors il faut dire aussi qu'il fréquente un milieu artistique très très nourri : il y a un bouillon de culture autour de lui dans le el circulo artistico, le cercle artistique de Barcelone et il va –il en profite d'ailleurs pour faire pas mal de portraits. Il fait ses académies aussi ses académies, c’est à dire des portraits de nus ; il expose 150 dessins et pastels dans un café d’artistes de Barcelone qui s'appelle aux quatre chats. Or dans ce café il y a non seulement toute la faune barcelonaise, il y a tous les artistes de l'époque, je ne vais pas vous citer leurs noms parce que je pense que pour la plupart d'entre vous tous que ça ne vous dirait pas grand-chose forcément, mais dites vous que ce sont tous les grands, tous les artistes qui comptent à l'époque à Barcelone ; mais il y a aussi une forte influence française : on n'est pas loin de la frontière après tout, on s'intéresse beaucoup à ce qui se passe en France en général et plus particulièrement à Paris. Car il se faut bien se figurer à cette époque -c'est amusant d'ailleurs de parler de figurer dans une émission qui va bientôt tourner le dos à l'art figuratif- il y a à l'époque -quoi que- il y a à l'époque une attraction parisienne qui va bien au-delà des frontières de la France et même de l'Europe d'ailleurs : Paris c’est la grande, c’est la capitale artistique du monde : des milliers et je dis bien des milliers d'artistes sont là pour s'y former, et s'y sont installés, peignent à tous les niveaux. Alors il y a Montparnasse bien entendu, il y a  Montmartre etc. et ça sur Picasso ça exerce un  véritable pouvoir d'attraction. Il va postuler pour l'exposition universelle de 1900 - pavillon espagnol bien entendu, et une de ses Å“uvres est choisie ! Donc ça va être une bonne excuse pour aller à Paris et pour voir un peu ce qui se passe là-bas. L'Å“uvre en question je ne peux pas vous là décrire puisqu'elle n'existe plus, elle se trouve en ce moment recouverte par une des Å“uvres les plus célèbres de Picasso qui s'appelle la vie et dont je vous parlerai tout à l'heure. Donc il fait son premier voyage et ce premier voyage ne le fait pas seul, peut-être que seul il ne serait jamais venu à Paris d'ailleurs ; car au fond il y a quelque chose d'un peu casanier, d’irréductiblement espagnol en Pablo. Mais il a un copain qui lui est un voyageur né, il s'appelle Carlos Casagemas et ce Casagemas joue un rôle absolument essentiel. C'est lui qui va l'emmener si je puis dire ; alors ils vont louer un petit appartement sur la butte Montmartre ; et là on découvre bien sûr Toulouse-Lautrec, Degas, Cézanne qui va jouer un rôle absolument essentiel chez Picasso, et puis des artistes qui vont plus loin dans la recherche formelle et dans la révolution picturale : je pense à Gauguin notamment. Or, et ça c'est assez étonnant, il y a un grand marchand à l'époque et on n'en parle toujours Ambroise Vollard bien entendu et bien Vollard va avec cette espèce de prescience, et le goût très sûr qui le caractérisent, déceler en Picasso un très grand artiste en en herbe et il va exposer tout de suite 64 peintures de Picasso -vous imaginez ?- , ce qui fait que très vite on se met acheter des toiles de Picasso. En 1901, l'année de ses 20 ans Picasso -alors je l'appelle Picasso depuis tout à l'heure mais j'aurais dû l'appeler évidemment j'aurais dû lui donner son nom de Blasco- il va décider là de s'appeler Picasso. Ça va être son véritable nom, le nom d'un artiste qui vend si je puis dire ; et n'oubliez jamais que derrière le génie incontestable se situe, se trouve, se cache, un homme d'affaire qui n'est pas moins extraordinaire, et qui va faire de Picasso un des artistes les plus fortunés du du XXe siècle bien entendu. Donc il est à Paris, mais ça n'empêche pas de retourner de temps en temps en France il s'installera définitivement à Paris en 1904. Sauf qu’entre temps, en février 91 alors là événement : lui est en Espagne à ce moment là, et Casagemas je vous en ai parlé de Carlos, son meilleur copain qui est en France seul depuis janvier 1901, est tombé amoureux d'une très très jolie fille Laure Germaine Gargallo -oui sauf que la fille en question multiplie les amants d'un soir, n’est vraiment pas du tout sérieuse, elle se moque complètement de lui. Il est très malheureux, le pauvre Carlos il sombre dans l'alcool et bientôt dans la dépression ; et le 17 février, il va faire ce que font les gens désespérés, c'est terrible : il convie un certain nombre d'amis, dont Germaine qui est juste à sa droite, il les convie dans un petit restaurant qui s'appelle l'hippodrome boulevard de…, je dis un petit restaurant c’est plutôt un grand restaurant : l'hippodrome boulevard de Clichy. Et durant le dîner, Carlos se lève, il fait tout un petit discours, en français s'il vous plaît, et là, il sort de sa poche un pistolet, il le dirige vers Germaine, et au dernier moment dans une espèce de -vous imaginez la sidération de tous les jeunes gens qui sont là autour de la table ?- il retourne l'arme contre sa tempe et il tire bien entendu. Et ça pour Picasso, ça va être terrible, d'ailleurs personne n'a prit le soin de le prévenir bon évidemment les communications ne sont pas ce qu’elles sont devenues, mais il va rentrer d'Espagne en croyant retrouver Carlos et il arrive son copain est mort. Pour lui ça va être un drame terrible. On peut dire que pour sa peinture, c'est une sorte de fracture de cataracte, c'est un abîme dans lequel il va plonger d'une certaine manière. « J'ai commencé la peinture dans le bleu quand j'ai appris la mort de Casagemas Â» dira-t-il, et c'est vrai que l'on entre dans ce qu'on appelait la période bleue. Parce que vous savez qu’il y a des périodes chez Picasso pour définir les différents stades de son Å“uvre et d'une évolution sans cesse en mouvement ; et c'est l'époque de ces espèces de toile monochromes quand je dis monochrome, il y a un petit peu de carmin, un petit peu de vert ou de marron de temps en temps, le jaune. Mais l'essentiel est bleu, bleu comme la mélancolie, bleu comme comme les sujets si je puis dire d'un Picasso, qui va emprunter à ce moment-là à toutes les scènes de rue. On voit beaucoup de pauvres, de mendiants, d'aveugles, personnages faméliques qui peuvent faire songer d’ailleurs à l'Å“uvre du Greco à cette époque. Alors il continue à faire l'aller-retour entre la France et l'Espagne ; il va s'installer dans son ancien atelier de Barcelone d'ailleurs avec Angel Fernandez de Soto et il y peint les toits en terrasse du voisinage, la fameuse toile Toits à Barcelone qui est un petit peu considérée comme l’archétype de la période bleue justement. Et puis cette fameuse toile la vie , qui à l'origine devait être un autoportrait … -un autoportrait en slip hein si je puis dire- c'est assez étrange : le personnage est presque nu de face, en fait il y a deux femmes sur le tableau : l’une habillée, l'autre nue contre lui ; il va changer les deux les deux visages : il va mettre à la place de son visage celui de Casagemas et à la place du visage de la jeune fille celui de de Germaine. On peut dire que dans ce tableau la vie, il y a peut-être le début d'un lègue chez Picasso : c'est le début de l'héritage ça, il commence déjà presque à songer à sa postérité c’est incroyable, quand je vous dit qu'il est très précoce ! Ce tableau est tellement splendide qu'il nous fait passer le fait qu'il ai recouvert sa première Å“uvre exposée

 

 

Franck Ferrand, 14h 15h sur Europe 1

Un génie du XXe siècle au cœur de l'histoire vous revenez Franck Ferrand sur les premières années de l'immense carrière de Pablo Picasso

 

Picasso s'est installé à Paris en 1904. Entre parenthèses, il n'aura jamais la nationalité française, il est espagnol jusqu'au bout ; Picasso au tout début de la guerre en 1940 l’a demandée et on lui a refusée cette nationalité au passage. Il s'installe dans un misérable atelier de Montmartre qu'on appelle le bateau lavoir. Alors je dis misérable, mais évidemment pour quand on prononce ce nom pour les amateurs les amoureux de l’art, c'est un nom qui devenu absolument mythique. Le nom avait été donné par Max Jacob parce que c'était un ancien bateau lavoir, vous savez on accédait à la  bâtisse par ce qu’on appelait  bateau lavoir c'est-à-dire une sorte de lavoir suspendu si vous voulez, flottant en quelque sorte. Alors il va faire la rencontre là d’André Salmon, de Guillaume Apollinaire, qui va jouer un rôle absolument essentiel : rappelez-vous du rôle d'Apollinaire et Picasso dans le fameux vol de la Joconde nous avions raconté ça, j’avais eu l'occasion de raconter à ce même micro. Et puis il rencontre une femme : Fernande Olivier qui sera son modèle, qui sera sa compagne pendant sept ans. On le voit souvent à Montmartre au café Au Lapin Agile qui est le très célèbre café de l'époque, et on va dire que ça va mieux évidemment : il oublie son chagrin, Picasso et de la période bleue, on va passer tranquillement à une période rose. Encore un peu monochrome, un petit peu moins peut-être : la dominante à l'époque est le fauvisme, c'est une époque heureuse en fait, évidemment, c’est d’ailleurs intéressant : Picasso quand il est va bien les toiles vont bien si je puis dire, et puis quand il va mal ça se voit tout de suite, il est transparent cet homme là -quoi que-. Je dis beaucoup « quoique Â» depuis le début, mais parce que il n'est qu'un paradoxe ambulant : il a l'air transparent, peut-être qu'en fait il cache au deuxième degré, il cache très bien son jeu. Les couleurs se font en tout cas nettement plus chaudes avec un thème, celui du cirque qui séduit évidemment beaucoup le public. Ça va être le début du succès vraiment de de Picasso ; on a des gens du voyage et les arlequins aux costumes bariolés et les acrobates au corps délié etc. là le fameux Acrobate à la Boule auquel on pense tout de suite, mais y en a pas mal d'autres. Picasso et ça c'est intéressant parce qu'il y a cette dimension qui fait songer aux artistes de la renaissance : il ne va pas exceller seulement dans un art, mais dans bien d'autres puisque c'est à cette époque qu’il se lance dans la sculpture. On le voit travailler la cire, la terre, le bronze. C’est  l'époque où il va faire Le Fou, en 1905 : cet espèce de bouffon avec son drôle de sourire, son regard effroyablement creux et son chapeau bien sûr de de de bouffon. Picasso va séjourner un peu en Catalogne, où l'on accède au village de Cosol, où l’on accède qu’à dos de mulets et là on va voir la période rose évoluer, si je puis dire. On va voir entrer de l'ocre rouge, les thèmes vont changer, on va se tourner vers le monde antique, vers un univers peut-être plus bucolique, vers des corps de plus en plus dénudés, avec une modification je vous le disais de la palette, qui est un petit peu, en quelque sorte le reflet de la terre qu'il a autour de lui, de cette terre rouge assez extraordinaire. Les espaces des toiles aussi sont assez étranges, puisque peu à peu les figures vont se confondre avec la surface de la toile, l'arrière-plan en quelque sorte disparaît. On a l’impression que tout c'est en train de basculer dans un gentil éther, avec une ténacité du regard, une une solidité du corps légèrement déformé, de plus en plus déformé, vous voyez qu’on voit poindre déjà ce qui sera bientôt la célébrité mondiale de Picasso.

Il y a une toile majeure à l’époque c’est Les Deux Frères, on va en dire un mot avec Serge tout à l'heure. Bref la peinture est en train de changer, elle est en train de se déformer d'une certaine manière, les membres s'allongent, certaines parties du corps s'épaississent, la peinture devient vraiment un aplat on est plus qu’en deux dimensions d'une certaine manière, comme si il voulait volontairement oublier la troisième dimension qu'il maîtrisait pourtant si bien. Et puis on est à l'époque de la mort de Cézanne, et c’est comme un hommage à César à Cézanne -pardon à César ce doit être mais ça viendra plus tard- c'est comme un hommage à Cézanne que Picasso va réaliser son fameux chef-d'œuvre Les Demoiselles d'Avignon qui sont le manifeste du cubisme, mais là on arrive dans ce que j'appellerais le grand art et là bien entendu je suis bien forcé de céder la parole à Serge Legat.

 

Bonjour Serge, merci d'être venu on va parler bien sûr des demoiselles d'Avignon et de toutes les autres grandes œuvres de Picasso, peut être pas toutes parce qu’il y en a tellement tellement ce sera très long…

 

Jean Ferrat sur Europe 1 avec un extrait de sa chanson de 1960 ma France

 

On retrouve le maître des Demoiselles d’Avignon : le peintre espagnol Pablo Picasso est au cÅ“ur de l'histoire : vous recevez Franck Ferrand le conférencier des musées nationaux Serge Legat professeur à l'institut d’études supérieures des arts.

 

- FF Alors Serge il y a énormément de choses à évoquer, on va parler des Demoiselles d'Avignon dans un instant, mais peut-être précisons une fois pour toutes et pour clarifier les choses parce que je pense que ce n'est pas tout à fait clair dans l'esprit de tout le monde et même parfois dans le mien : Picasso est un peintre figuratif !

- SL : oui ça je pense que c'est vraiment quelque chose qu'il faut ancrer justement dans l'esprit de nos auditeurs, c'est que Picasso a absolument flirté avec toutes les tendances artistiques de la peinture la plus académique, comme vous l'avez dit Franck au début de sa carrière, jusqu'aux audaces des derniers tableaux ; mais il y a une chose qu'il ne franchit jamais c'est le passage de la figuration à l’abstraction, il est aux portes… on est vraiment à l'époque du cubisme le plus hermétique aux portes, et justement au moment où la seule étape serait le passage à l'abstraction : il fait marche arrière et il revient à la figuration ; donc profondément Picasso est figuratif

 

-FF : Entre nous mais ça s'en engage que moi est-ce que ce n'est pas unes des raisons de son succès c'est que tout en allant très loin dans l'invention  dans l'invention formelle dans ce qu'on appelle le contemporain il reste néanmoins un figuratif donc il ne se coupe pas tout à fait du grand public si je puis dire

-SL : Et Franck vous en avez parlé, en plus Picasso est un héritier, c'est aussi une notion qu'il faut remettre en place ; et vous l'avez d'ailleurs évoqué c'est que Picasso n'est pas du tout un peintre de la table rase. Il y aura des artistes à la même époque qui considèrent que l'art du passé c'est un art mort : les futuristes italiens disaient il faut brûler les musées. Picasso c'est l'antithèse donc c'est un héritier et c'est un peintre figuratif

 

- FF : C'est Marianne qui via Twitter nous signale que la compagne des débuts de Picasso, Fernande Olivier, dont je parlais tout à l'heure à publié Picasso et ses amis, une mine d'anecdotes sur l'époque du bateau lavoir nous dit-elle

- SL : Plusieurs des compagnes de Picasso ont écrit des textes ; Picasso était absolument furieux de ces textes à chaque fois et il menaçait toutes les femmes qui ont partagé sa vie au moment des publications

 

- FF : Alors artiste figuratif certes mais il y a figuration et figuration si je puis dire : comment passe-t-on du tableau quasi académique hyper réaliste d'une certaine manière qui s'appelle les deux frères 1906 aux demoiselles d'Avignon 1907 où on est dans une sorte de kaléidoscope cubiste ?

- SL : C'est justement la magie de Picasso c'est que Picasso en très peu de temps est capable de montrer une évolution radicale à l'intérieur d'un seul tableau. La sculpture d'ailleurs connaît les mêmes évolutions et ce qui est tout à fait fascinant, c'est de voir comment en un été Picasso comprend et change radicalement sa façon de peindre. L’été à Gosol a été vraiment un changement radical pour lui et les Demoiselles d'Avignon, c'est vraiment le résultat qui est le résultat d'un besoin qui est un besoin de dépassement justement de tout ce qu'il était encore une représentation dans une certaine dette de la tradition.

 

-FF : alors il y a une époque où Picasso va faire du Picasso si je puis dire, c’est à dire qu’on serait bien en peine de chercher des influences etc. il est celui qui donne le ton à la planète entière il est le maître à qu'un très grand M mais on n'en est pas encore là et là pour le moment il entre encore dans les modes du temps et parmi les grandes modes il y a ce qu'on appelle le cubisme. Il faut peut être expliquer, en 2 mots ?

- SL : Le cubisme il en est en même temps un des deux inventeurs. Le cubisme est vraiment créé par Picasso et Braque- n'oublions jamais le rôle capital de Braque en même temps- et alors le cubisme vient très nettement d'une remise en cause, justement de la lecture de la peinture et vous en avez parlé Franck, un des points de départ du cubisme c'est le peintre Cézanne. Cézanne est vraiment l'artiste qui va créer chez Picasso et Braque un électrochoc : ils le connaissent, ils l’admirent mais lors de la mort de Cézanne il y a une grande rétrospective à Paris et c'est un choc absolu pour ces deux peintres. Parce qu'ils voient tout que Cézanne a apporté à la peinture occidentale et toute la révolution que représente Cézanne, et d'ailleurs va naître vraiment le cubisme à ce moment-là. Et comme par hasard la première phase du cubisme, on l'appelle le cubisme Cézannien ; par la suite il y aura d'autres évolutions, mais le point de départ, c'est Cézanne. Donc on géométrise les formes, on les simplifie, on remet en cause les règles de perspective traditionnelle, on est dans une relecture de la notion d'espace et de la notion de figure intégrée au tableau

 

- FF : Alors je disais tout à l’heure que le peintre était transparent, et que en fonction de ses humeurs les Å“uvres étaient plus ou moins sombres, ou plus ou moins lumineuses ; mais il faut dire surtout que ce sont ces amours qui le dominent en quelque sorte

- SL : C’est totalement étonnant et je suis ravi que vous ayez dit cela Frank, parce que je pense que Picasso est justement un peintre qu'il ne faut pas trop intellectualiser. Par moment Picasso fait partie de ces artistes comme d'ailleurs à une autre époque l’était Rembrandt, qui sont ces artistes que j'appellerais du premier degré : quand les choses vont bien ça se voit, quand les choses vont mal ça se voit. Vous avez parlé du suicide de son grand ami Casagemas qui est un choc absolu : le drame fait que commence la période bleue, et au niveau des femmes qui ont partagé sa vie -d'ailleurs soyons francs généralement elles tiennent une dizaine d'années et c’est vraiment les plus résistantes mais généralement on est à peu près à ce niveau-là et c’est tout à fait extraordinaire quand il les aime il les magnifie quand il ne peut plus les supporter –

 

- FF : il en fait des déesses mais il faut quand même expliquer ça à nos auditrices imaginez ce que c'est qu'être porté aux nues par un homme dont on sent à chaque instant qu'il est un des génies du temps ?

- SL : un monstre sacré alors là je crois vraiment Picasso mérite ce terme et en même temps il les aime, il les idéalise, il les peint avec un plaisir sensuel, sexuel mais quand il commence à ne plus supporter, il les détruit déjà dans sa peinture, et généralement le signe est déjà avant-coureur d'une rupture qui s'annonce.

-FF : c’est le portrait de Dorian Gray : on voit la femme exploser si je puis dire sur la toile avant de disparaître

- SL : … et comme au plus chez Picasso évidemment quand il ne supporte pas une femme il y a déjà la remplaçante qui est évidemment déjà dans sa vie on voit très bien comment se crée le passage de l'une à l'autre et comment une nouvelle icône est magnifiée, mise en valeur et comment la précédente commence à disparaître à disparaît déjà dans la peinture

 

- FF : alors j'ai parlé tout à l’heure de la deuxième guerre mondiale qui va jouer un rôle absolument essentiel dans son art, mais la première aussi d'une certaine manière. Alors la première, comme il n’est pas français, il appartient à un pays neutre, il n'entre pas dans la guerre : néanmoins c’est une période très troublée : j'ai parlé de l'histoire avec Apollinaire du vol de la Joconde ; ça c’est juste avant ensuite il y a cette affaire des ballets russes surtout

- SL : bien sur alors ça ça se situera à la fin de la première guerre mondiale, puisqu’ on est à peu près vers 1917 à moment-là, mais le phénomène de la guerre est aussi ce qu'il faut bien voir un choc absolu ; puisque si Picasso lui, ne participe pas à la guerre certains amis certains de ses amis les plus proches de Picasso, font une guerre absolument terrible. D'ailleurs Braque, dont on vient de parler connaîtra une guerre abominable : il sera trépané, il va passer à deux doigts de disparaître, et d'ailleurs ça c’est aussi le côté terrible de Picasso…Picasso et Braque par la suite vont évoluer très différemment en peinture, et un jour, des années plus tard, Picasso verra la peinture de Braque et il aura cette phrase horrible, de dire « au fond il n'en est jamais revenu Â» ce qui est d’ailleurs très injuste parce que l’œuvre de Braque est absolument prodigieuse dans son évolution, mais ça c'est également la férocité de Picasso. Picasso est un homme aussi admirable que détestable

 

- FF : en fait ce que tout simplement on n'est pas en présence d'un des plus grands égo qui a jamais vécu ? Surdimensionné ? moi je trouve qu’on est dans ce genre de famille : je ne sais pas pourquoi Picasso me fait toujours penser aussi à l'égo d’un Victor Hugo : on est exactement dans le même genre de figure, et d'ailleurs les femmes autour : Juliette Drouet, la malheureuse, a subi Victor Hugo comme beaucoup de femmes de Picasso ont subi Picasso

- SL : alors quand vous dites qu'elle est qu'elles l’ont subi, il y en a plusieurs qui vont mal tourner

ou ce qui est le plus étonnant, c'est que plusieurs des femmes de Picasso ne se remettront pas de la disparition de Picasso, et ça c'est aussi le jour une chose terrible chez Picasso. Picasso qui a connu le suicide très tôt avec la mort de son ami dont on a parlé, sera d'une certaine façon suivie par des suicides : 2 des femmes de sa vie se sont suicidés après sa mort Marie-Thérèse Walther et puis sa dernière épouse au sens le plus légal du terme Jacqueline Roques qui se suicidera également. Elles ne supportent pas la vie sans Picasso, même si elles ne vivent plus avec lui mais il est encore sur terre

 

- FF ; alors on n’a pas parlé de toutes ces femmes, il aurait fallu dire un mot d’Eva Gouel on va passer peut être un peu vite, Olga Koklova qui elle était une danseuse des ballets russes

- SL : en simplifiant beaucoup les femmes importantes c'est un peu Barbe-Bleue : Picasso la première on en a parlé c’est Fernande Olivier c'est la femme maternelle qui le protège un petit peu au bateau lavoir, la muse du cubisme c'est la petite Eva Gouel qui est une femme malade, elle va mourir de la tuberculose très jeune, et elle comprend l'évolution picturale de Picasso. C'est vraiment elle qui le soutient dans les recherches du cubisme, et puis il y aura Olga qui est sa première épouse et ça aussi c'est très beau : c’est une danseuse russe, elle fait partie de la troupe des ballets russes et alors elle, elle est une beauté absolument renversante. Il y a des portraits d’elle somptueux et elle aura une très jolie formule quand Picasso lui fait la cour : elle lui répond « mon petit ami une Russe ça s'épouse Â» et  Picasso la rencontre en 17 et il l’épouse 18, il a comprit le message s'il veut arriver à ses fins avec Olga il l’épouse, ça sera sa première épouse et ça sera là la première il y en aura une deuxième je viens de le dire c'est Jacqueline Rocque parce que Olga n'a jamais accepté le divorce, donc Picasso et elle seront séparés mais ne divorceront jamais. Voilà pourquoi Picasso ne s’est marié que deux fois, il a d'abord épousé Olga et quand Olga décède quelques années plus tard il épousera Jacqueline

 

- FF : j'ai sous les yeux La Femme qui pleure, parce que pendant que vous parlez je regarde quelques toiles

- SL : C’est Dora Maar - ça c’est terrible. Alors la femme qui pleure comme par hasard elle suit la femme qui dort puisqu’il y avait eu après Olga Marie-Thérèse Walter une femme charmante tout en rondeur tout en blondeur la suivante comme par hasard est brune totalement l'antithèse, chez Picasso c'est très clair on ne passait jamais que d'une femme à son contraire absolu et direct elle devait être totalement différente, Marie-Thérèse Walther était une jeune femme très modeste très simple, Dora Maar était une intellectuelle, très grande photographe très proche des surréalistes très lancée dans le monde de l'intelligentsia parisienne ; et Picasso en même temps voit en elle toutes les fêlures et il la surnomme très vite la femme qui pleure et il aura raison puisque elle se remettra très mal de sa liaison avec Picasso, puisqu'elle va quand même passer une dizaine d'années en hôpital psychiatrique après la vie avec Picasso

- FF : Finalement il ne fait pas bon être aimé de Picasso…

- SL : Il faut trouver des espoirs Dora Maar trouvera tout compte fait une rémission par la religion, par la suite elle deviendra totalement mystique donc il y a eu la phase Picasso, la phase hôpital psychiatrique et puis la phase de psyché, la phase totalement mystique pardon d'un Dieu à l'autre d’une certaine manière

- FF : ou du diable à dieu

Nous arrivons à ce moment le plus crucial puisque nous parlons de Guernica

 

 

-FF : On arrive à Guernica dans un instant -un mot quand même des Baigneuses parce que après la période bleue la période rose il y a la fameuse période des baigneuses quand même

- SL : oui qui est une très très belle période. C'est aussi très intéressant parce que le thème des baigneuses est comme par hasard un thème récurrent de la peinture traditionnelle ; Picasso y revient c'était un thème de Césanne, Picasso le reprend et Picasso va le traiter de façon différente c'est-à-dire que dans certaines des baigneuses on est dans les années 1925 26, on est totalement dans le flirt de Picasso avec le surréalisme c'est-à-dire des baigneuses avec décor étrange des formes tout à fait étonnantes qui sont au-delà de la représentation habituelle du corps féminin. Et puis on aura au contraire ce qu'on appelle la période des géantes, c'est-à-dire des baigneuses absolument monumentales, sculpturales, et qui deviennent des formes qui sont des sortes d’idoles représentant la puissance du corps de la femme. Picasso travaille le corps féminin à travers justement ces différentes visions, et les baigneuses c'est un thème qu'il traitera tout au long de sa carrière

 

- FF : avec des aspects et obsessionnels je crois que le mot n'est pas trop fort

- SL : oui il est totalement obsédé il est très très obsessionnel d'abord sur le côté le plus sexuel du corps de la femme. La nudité de la femme est un thème qui l'obsède il aime les femmes alors ça Picasso, c'est au vrai sens du terme un amateur de femmes. C’est un consommateur de femmes au sens le plus charnel du terme, et c'est quelqu'un qui a besoin vraiment, et d'ailleurs quelqu'un dont on n'a pas parlé, mais c’est une des grandes énigmes de Picasso, c'est quand il avait rencontré à Paris Gertrud Stein : une des premières américaines, juives américaines, qui s'est intéressé à l’œuvre de Picasso, qui l’avait acheté. On a le fameux portrait de Gertrud Stein sur lequel Picasso a beaucoup travaillé, avec beaucoup de problèmes d'ailleurs- Pour Picasso, c'était quelque chose de sidérant : il avait face à lui une femme qui n’aimait pas les hommes, ce qui pour Picasso est incompréhensible puisqu’une femme ça doit aimer et servir un homme, Picasso est très macho

- FF : vraiment tout tourne autour de lui

- SL : Picasso avait une formule terrible sur les femmes. Il disait dans le monde féminin il y a deux catégories : ce qu'il appelait les femmes torchon -je suis désolé Mesdames- pour lui c'était 90 % des femmes, c’est celles qui servent l'homme ; et puis la petite frange des muses, alors les muses, c'est celles qui inspirent l'homme. Soyons francs elles sont quand même très minoritaires

 

- FF : Elles sont minoritaires et pas forcément plus heureuses entre nous soit dit, alors quand on va à Madrid il y a deux chocs esthétiques extraordinaires. D'abord bien sûr, Les Ménines de Vélasquez au musée du Prado, sur lesquels Picasso travaillera : il a fait à 44 versions des ménines qu’on voit au Musée Picasso de Barcelone : et puis l'autre grande toile qu’il faut voir quand on est à Madrid, c'est bien sur Guernica et alors là on en a parlé parlé on pourrait faire une émission entière Guernica c’est la guerre avant la guerre

 

- SL : la guerre avant la guerre, c'est ce que certains diront. C'est une répétition générale, ce qui est horrible, mais tellement juste puisque Guernica  c’est ce bombardement des troupes allemandes, enfin du monde allemand à la solde de Franco, sur une petite ville basque qui s'appelle Guernica. Cela a lieu le 26 avril 1937 et Picasso va commémorer cette répétition générale en faisant une peinture absolument extraordinaire, d'abord une peinture en noir et blanc, ce qui n'était pas forcément la première idée : beaucoup des études sont en couleur et Picasso prenant conscience que c'est un tableau de mort, que c'est la destruction, considère qu'il faut travailler en noir et blanc. Éluard dira d'ailleurs que c'est le faire-part de deuil de notre société, ce qui est très juste quand on sait à quel point les deux guerres mondiales ont complètement changé l'Esprit qui est l'esprit du monde contemporain

- FF : Au moment où les Allemands ont envahi une partie de l'Europe il y a des officiers allemands qui entrent dans son atelier -d'ailleurs Picasso avait dit qu’il lèguerait la toile à l'Espagne quant elle serait devenue une démocratie et on a tenu parole de ce point de vue là

- SL : oui et alors il avait dit très exactement quand l'Espagne sera devenue une république donc on a pas totalement tenu parole, mais on a considéré que évidemment le pouvoir de Juan Carlos était un monde totalement démocratique et que bien sûr Guernica qui était à New York pouvait revenir en Espagne

- FF : racontez-nous alors les officiers qui entrent

- SL: Alors ça c’est extraordinaire c'est une scène superbe ; et Picasso a des photographies de son tableau, il les distribue, et un des officiers allemands un peu naïvement dit « ah mais oui c'est vous qui avez fait ça Â» et Picasso regarde l’officier allemand et dit « non c’est vous qui avez fait ça Â» C est évidemment une très belle phrase une phrase assez courageuse par rapport à l'occupant allemand.

- FF : il y a chez Picasso des fulgurances qui se retrouvent dans ses écrits et dans la manière qu'il a d'illustrer lui-même certains de ses écrits ; d'ailleurs ça nous amènera plutôt vers la toute fin de sa vie bien sûr

- SL : bien sûr absolument Picasso est aussi un metteur en scène de sa propre image et c’est quelqu'un qui écrit admirablement bien ; et qui d'ailleurs fréquente beaucoup beaucoup d'intellectuels. On a parlé de Max Jacob, on a parlé d'Apollinaire, il y a à l'époque des ballets russes puisque Picasso a rencontré Diaghilev grâce à Jean Cocteau, très grande amitié entre Picasso et Cocteau ils avaient entre autres un goût commun pour la tauromachie. Ils adoraient tous les deux les corridas auxquels ils assistaient ensemble donc Picasso est entouré de grands intellectuels et qui sont des écrivains des poètes

- FF : On voit toujours entre parenthèses, il est poète il est dessinateur illustrateur graphiste céramiste aussi ça c'est à la fin de la guerre en fait

- SL : Oui ça c’est l'époque où il s'installe dans le midi de la France. Il peut venir à Antibes puisqu'il a la chance que le château d'Antibes est mis à sa disposition par le conservateur qui s'appelle Dor de la Souchere et Picasso peut travailler dans cet endroit merveilleux qui est devenu le musée Picasso d'Antibes. Et il y a à côté d'Antibes la petite ville de Vallauris qui est déjà un centre de céramique et Picasso va travailler dans l'atelier Madoura c'est là où il fera toutes ces céramiques qui se vendent encore très très bien, alors on a de nos jours évidemment on a beaucoup de copies. Il y a beaucoup beaucoup de faux bien sûr par rapport à cette Å“uvre de céramiste mais c'est une des choses qui aime profondément et il va travailler toutes les matières vous en avez parlé Franck c'est quelqu'un qui a ce côté génie universel des hommes de la renaissance

- FF : C’est Antibes, c'est le soleil c'est la libération la joie de vivre

- SL : Oui la joie de vivre c’est le grand thème des peintures qu’il peint et qui sont toujours à Antibes c'est le thème de la joie de vivre alors là aussi avec un petit clin d'Å“il : son rival, son rival admiré le seul peintre qu'il mettait à sa hauteur, c’est à dire Matisse, avait peint beaucoup plus tôt le bonheur de vivre donc Picasso comme par hasard peint la joie de vivre après le bonheur de vivre de Matisse. Et c'est une sorte d’hommage, là vraiment on a parlé de rivalité, mais c'est une rivalité je dirais dans l'harmonie et dans l'admiration réciproque : Matisse aime Picasso, Picasso aime Matisse évidemment ils sont en rivalité mais il y a vraiment une reconnaissance. D'ailleurs à la mort de Matisse, Picasso dira « au fond il n'y avait que Matisse Â»

- FF : Et il y en a un auquel on rend hommage à Nice bien entendu dans ce merveilleux musée Matisse et l'autre dans le non moins merveilleux musée Picasso d’Antibes, sur les fortifications de la vieille ville, dans un endroit merveilleux et cette mer Méditerranée qui scintille derrière les Å“uvres.

- SL : C’est un endroit magique c'est hélas cela, où on en parle toujours à lieu le fameux suicide, par contre de Nicolas de Stahl

- FF : Nicolas de Stahl en fait n'a peut-être pas survécu à tant de beauté,

- SL : c'est peut-être ça, et puis bon le suicide de Nicolas de Stahl est très compliqué et beaucoup de questions sont encore autour

- FF : alors ce qui est étonnant c'est que on est encore loin de 1973 or on a l'impression d'avoir parlé déjà de sinon deux sinon trois artistes

 

- SL : C’est une chose qui me paraît très importante, Picasso c'est un homme qui ne s'est jamais arrêté et ça je pense que c'est une des grandes forces de Picasso ; on peut aimer ou ne pas aimer Picasso ce sont des questions personnelles, mais on ne peut pas laisser de côté la puissance de Picasso ; et Picasso a une chose absolument magique, c'est que contrairement à d'autres peintres qui le jour où ils sont enfin reconnus par le public ou par la critique d'une certaine façon se fossilisent et répètent un peu systématiquement une même peinture, ils ont enfin le succès et ils veulent garder ; Picasso, jamais : jusqu'au bout de sa carrière, il renouvelle, il modifie, il change, et il a besoin à chaque fois d'aller plus loin

- FF : Et ce que je trouve assez étonnant, c'est que bien que devenu lui-même la référence absolue, il continue à s'inspirer des maitres : vous parliez bien sûr de Vélasquez à travers les Ménines tout à l'heure, mais il y a également d'autres maitres dont il va s'inspirer

- SL : Ah c’est toute une série qui commence grosso modo à partir 1950, un des premiers chefs-d'Å“uvre sur lequel le travail, ce sont les demoiselles de bords de scène de courbet il travaillera sur le déjeuner sur l'herbe de Manet ; il travaille bien sûr sur les Ménines de Vélasquez, il travaillera sur les femmes d'Alger de Delacroix… Alors Picasso a toujours considéré que choisir une Å“uvre et travailler sur elle, c'est un hommage et Picasso avait une formule que j'adore, il disait « les bons artistes copient, les grands volent Â» et ça c’est Picasso c'est-à-dire qu'on doit comprendre un artiste et aller voler ce qu’il y a de plus original chez lui ; et c'est ce qu'il fait. Alors ça aussi c'est la pire des stupidités quand on entend des gens dire « mais mon dieu il a déformé, il a détruit le chef-d'Å“uvre Â» : surtout pas, pour Picasso, travailler sur une Å“uvre, c'est considérer que l'artiste et le tableau est suffisamment exceptionnel pour que lui-même travaille sur cette Å“uvre, c'est un hommage au sens plein du terme

- FF : évidemment nous sommes à la radio donc je ne peux pas montrer d'extraits du film de Henri Georges Clouzot mais c’est fondamental ça

- SL : c’est un film absolument magnifique – peut être le pus beau film sur l’histoire de l’art- je dirais qu’il y a vraiment 2 films, un film très connu de Clouzot et un film qui est maintenant diffusé c'est un film qui avait eu d'ailleurs le Lion d'argent à la Mostra de Venise il y a des années. C'est le film de Nelly Kaplan sur Picasso et j’ai la chance d'être un ami de Nelly Kaplan et elle m'a raconté d'ailleurs ce film a été présenté aussi à Cannes, mais à côté du festival de Cannes ; et ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'alors qu'elle présentait son film, arrive Picasso et Jacqueline ; et là, elle me dit : «  je me suis liquéfiée Â» en disant mais « qu'est-ce qu'il va dire ? Â»  puisqu’il avait toujours refusé par exemple pour Venise il avait refusé de venir ; toujours en sandales et en polo marin où qu’il soit, et il arrive et alors va naître une très belle amitié entre eux parce que Picasso a beaucoup aimé également le film de Nelly Kaplan, qui est un beaucoup plus petit film en durée par rapport aux grand film de Clouzot mais c'est aussi une Å“uvre que l'on peut voir maintenant en DVD qui est tout à fait passionnante

- FF : il est évident que Picasso avait un Å“il au sens figuré mais au sens propre aussi il y a ses photos incroyables

- SL : ah mais c'est un modèle pour tous les photographes. D’ailleurs comme par hasard Picasso en dehors des écrivains, Brassaï est un des grands grands amis de Picasso, et Brassaï est très très très marqué par cette Å“il extraordinaire

- FF : au détour d'une phrase tout à l'heure vous avez évoqué une certaine Jacqueline donc ça c'est la dernière compagne

- SL : la dernière épouse absolument. Là vraiment Jacqueline Roque alors qui est une très jolie figure qui est en même temps alors quelqu'un qui deviendra un peu la gardienne du tombeau, puisqu'elle sera la veuve de Picasso ; alors on lui a beaucoup reproché d'avoir un peu phagocyté Picasso à la fin de sa vie, c'est vrai que Jacqueline a parfois coupé un peu Picasso des autres enfants qui avaient pu compter dans la vie de Picasso, mais en même temps elle veut le protéger : Jacqueline c'est vraiment quelqu'un qui est complètement complètement fasciné par son grand homme.

- FF : disons-le dans le courant des années 1960 la figure de Picasso devient quand même l'objet d'une polémique alors qui n'est plus une polémique esthétique là on ne parle plus de son art mais qui est une polémique sur l'argent parce qu’il est le premier artiste vivant à vendre à des prix aussi fous

- SL : Tout devient… ça devient même presque scandaleux d’ailleurs Picasso s'en amuse, et c'est une des choses, alors on a toujours les fameuses petites anecdotes qui sont très drôles ; on raconte que Picasso, qui adore griffonner évidemment, dans un restaurant sur une nappe… alors voilà se met à faire des croquis sur une table en rue sur une nappe en papier évidemment, le propriétaire du restaurant dit : « mais Picasso Monsieur Picasso est ce que vous accepteriez de le signer ? Â» et il dit « ah non là ça donnerait beaucoup trop de valeur à l'Å“uvre, le dessin c'est déjà beaucoup mais si en plus c’est signé ça devient alors-

-Ce qu’il dit c’est « je vous ait dit que je payais l'addition pas que j'achetais le restaurant Â»

- Alors on a une foule d’anecdotes, évidemment beaucoup sont aussi des choses qu'on a exagérées mais ça montre ce qu'est devenu Picasso. Picasso est devenu un Dieu vivant comme objectivement aucun artiste ne l’avait été. C'est devenu le Maitre, c’est le premier à vivre ça dans l'histoire de l’art, et donc ça doit être quand même un peu perturbant même pour lui- oui et en même temps il en joue c'est vrai que par moment Picasso a aussi envie et bien de se venger des années de vaches maigres qu'il a pu connaître ; et de se dire au fond bah tant que tous ces crétins m’idolâtrent, et bien jouons aussi avec eux, il y a un moment où personne ne croyait en moi ; maintenant je fais n'importe quoi tout le monde m’ adore, et il joue. Là par contre où il ne joue pas, c’est dans sa peinture, puisqu'il continue son évolution jusqu'au dernier tableau

 

- FF : Il y a un autre maître espagnol pas forcément toujours ami Picasso mais qui va lui aussi beaucoup abusé sur la fin de sa vie de sa signature, c'est le célèbre Salvador Dali. Alors si je fais cette légère incursion dans l'autre univers, celui de Dali, Serge c'est pour évoquer un spectacle dont Europe 1 est partenaire qui s'appelle La Verita : ça se joue jusqu'au 5 juillet prochains aux folies bergère et c'est un extraordinaire spectacle de cirque artistique, de théâtre acrobatique autour de l'univers de Salvador Dali justement. Un spectacle écrit et mis en scène par Daniele Finzi Pasca avec 13 artistes qui ont été rassemblés autour d'un tulle de Salvador Dali si je puis dire c'est c'est un moment de grâce et c'est une évocation aussi de cet univers artistique Espagnol contemporain.

Dieu sait qu’il y avait une rivalité Dali Picasso terrible. Il meurt Picasso en 73 donc en avril 73 alors après ce sera toute l'histoire de la succession : ça ça nous entraînerait vraiment dans une longue histoire -comme on dit à une autre heure et sur cette même enseigne Merci beaucoup Serge Legat

 

 

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